La plume de Joséphine

Joséphine Lanesem

« Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense ! ». On pourrait appliquer ce mot de Baudelaire à l’exercice de style que s’impose et propose Joséphine Lanesem avec brio dans son recueil Je serai ta cage et ta forêt. A partir de cinq mots choisis par ses proches et amis, elle compose un récit pour chacun, « comme une histoire sur mesure », à la manière d’un musicien inspiré, échevelé.

La plume de Joséphine, c’est la « plume du joséphin, oiseau azuré des glaciers ». C’est la plume de l’oiseau de Paradis niché dans la transparence éclatante de L’Arbre du Paradis, incarné par le souffle des pinceaux de Séraphine de Senlis (quelle merveilleuse mise en bouche que la première de couverture !). C’est un don, un abandon qui a le bon goût de l’enfance, de l’étrangeté, de l’intériorité. Comme l’a souligné une grenouille amoureuse d’un hortensia (mais-pas-que), c’est surtout une déclaration d’amour à ses proches et amis – et aussi une offrande généreuse à ses lecteurs.

J’ai lu quelque part que la vie est « responsablement heureuse, malgré sa mélancolie« . Même si je soupçonne Joséphine de venir d’une autre planète, nous sommes bel et bien sur Terre dans son livre. Les personnages que l’on rencontre sont souvent abîmés par la vie. Et pourtant la légèreté pointe le bout de son nez à chaque page.

Ainsi La Dormeuse à laquelle on peut s’identifier sans peine. Elle porte sur ses poignets « d’anciennes cicatrices, du temps de son adolescence, de la mélancolie, du désir d’en finir avec la vie ». Un jour, elle demande à Ismaël, l’amour de sa vie, de lui rapporter « les ingrédients de l’amour » dont elle avait établi la liste :

« Une cuillère de miel de ciel, 100 g de farine de peine, levure d’enfance, sirop de tendresse, extrait de solitude, poudre d’espérance, trois pincées d’étrangeté, gouttes d’émerveillement, confiance montée en neige, rancœur fondue au bain-marie, sachet de baisers, sel de pleurs, etc. »

De ce mille et une feuilles en couleur et en devenir, je ne fais qu’une bouchée !

Et que dire de L’Invisible, cette adolescente précoce, présence minuscule qui cultive le renoncement et l’insignifiance avec bienveillance ? Aimée est une figure lunaire, attachante parce que familière.

« Elle sait avec une prescience étonnante que le mal dont elle souffre vient d’elle-même : elle vit pour les autres, ce qui leur donne le pouvoir de la tuer. (…) Tous se confient à Aimée, parce qu’elle sait écouter. Elle réduit son âme à un tel silence qu’elle entend la moindre nuance de celle des autres ».

En vérité, « Aimée se réduit à une virgule ». On pourrait l’écraser du bout du pied car elle a la consistance ou l’inconsistance d’une fourmi, d’un grain de blé. Mais elle a « cette sorte de courage qu’il faut pour être rien et rien que rien » (Henri Michaux). Ce serait donc sous-évaluer la qualité de ses ressources inépuisables que de la considérer comme de la roupie de sansonnet : d’abord, son énergie prodigieuse qui lui permet de devenir point-virgule, point d’exclamation ou point d’interrogation, selon l’état d’esprit et de corps d’une humanité épuisante, bruyante, envahissante (sa famille et ses deux meilleures amies),

« Heureusement il y a un centre en elle auquel aucun n’a accès, pas même elle-même. Il est à la fois le plus intérieur et le plus extérieur ».

Ensuite, sa proximité avec le divin – qui n’est pas sans rappeler celle (fantasmée peut-être) qu’entretenait Séraphine – sans laquelle elle serait réduite sans aucun doute à un grain de poussière. Je l’imagine assez bien en ‘Particule de Dieu’, éternellement lumineuse. « Dieu, Aimée l’appelle Daniel » (quelle jolie trouvaille !). Cerise sur le gâteau, elle n’a nul besoin de cape d’invisibilité. Elle donne des signes de vie à ceux qui veulent bien les percevoir et les saisir au vol, dans le silence et la transparence.

Enfin, contre vents et marées, Aimée lutte en écrivant des poèmes d’une intensité phénoménale – le pouvoir absolu.

Il était une fois, Dans le brouillard, Un enfant miraculeux à la recherche d’Antilia. Ces quelques titres recèlent bien des secrets qu’un atelier d’écriture pourrait être à même de percer. C’est pourquoi je vous invite non seulement à plonger sans tarder dans ce recueil au duveteux plumage mais également à lire le très beau billet que Frog lui a consacré (vous savez, la grenouille amoureuse d’un hortensia mais-pas-que).

La plume de Joséphine, c’est « la plume du joséphin, oiseau azuré des glaciers.

Il faut toucher la poitrine avec son extrémité acérée pour ôter du cœur ce qui l’élance, ce reste d’enfance d’où pointe la mort et la glisser ensuite soyeuse derrière l’oreille, pour priver les pensées de leur excessive gravité, leur redonner équilibre et essor ».

Nota. Les plumes fourmillent de partout dans ce livre. C’est pourquoi j’en ai prélevées quelques-unes, délicatement, pour mon édredon sous lequel je me glisse chaque soir pour lire. Je ne peux lire ailleurs que dans mon lit – c’est un vrai handicap.

Juillet 2017
© andrea couturet

 

4 Replies to “La plume de Joséphine”

  1. Merci Andrea. Je ne sais que dire tellement je suis touchée. Déjà, si je viens d’une autre planète, vous aussi. 😉 On est l’une et l’autre d’une déconcertante et réjouissante étrangeté. Ensuite, les deux histoires que vous citez à plusieurs reprises sont les plus intimes : vous avez l’oreille, ou l’oeil. Aussi, j’ai en effet un faible pour les plumes au point que c’est le surnom que je donne, légèrement modifié, à l’aimé, mais je n’avais pas remarqué leur récurrence dans le recueil ! Enfin votre manière de lire comme on vit et de vivre comme on lit m’enchante (lit-lit, dirait un psy, pas étonnant que vous ne pussiez lire que dans votre lit). Chez vous, la lecture se poursuit en écriture et réécriture, mes personnages deviennent les vôtres, c’est impressionnant. Quand au bonheur et à la mélancolie… on a été fait pour la joie, je le crois, le malheur est une erreur. Merci encore.

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  2. Selon vous, j’aurais « l’oreille, ou l’oeil ». Savez-vous que vous avez visé juste ?!
    Pour apaiser mon hypersensibilité au bruit, je porte des embouts de protection anti-bruit (depuis peu) et désormais, je déambule dans un univers cotonneux, assourdi. C’est miraculeux ! (« C’est la ouate qu’elle préfère »).
    Quant à mon hypersensibilité à la lumière, je n’y peux pas grand chose…
    Deux sens… sens dessus dessous ! Mais vous le saviez déjà puisque vous venez d’une autre planète, n’est-ce-pas ?!
    🙂

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