La Pléiade

Lire me transporte.

Je me faisais une joie de passer ma soirée en compagnie de Nathalie Sarraute. Dans ma bibliothèque, mes livres sont plus ou moins classés par ordre alphabétique. Pourtant, à la lettre S et dans son voisinage le plus proche, après plusieurs vérifications, je dois me rendre à l’évidence : pas de Tropismes en édition de poche !

Passablement contrariée, je me tourne donc vers l’autre édition, celle dont on dit qu’elle est LA référence souveraine – la prestigieuse Pléiade (ma bibliothèque possède en effet de nombreuses ressources – même si un désherbage massif s’impose). Qui donc m’avait offert ce volume des œuvres complètes de l’auteur ? Le mystère reste entier. Résignée, je rejoins mon lit – creuset d’un songe dans lequel je me noie chaque soir avec complaisance.

Or, ce soir, mon rendez-vous prometteur avec Nathalie Sarraute, dont je m’étais quelque peu éloignée, risque de subir quelque dommage : je suis contrainte de passer ma soirée avec un objet dont la présence physique m’indispose gravement.

Nathalie Sarraute, Œuvres complètes, La Pléiade, 1996

Non seulement lire dans La Pléiade me demande une certaine disposition d’esprit mais surtout un effort non négligeable.

Avouez que manipuler un pavé de 2.176 pages dans un petit format (105 x 170 mm), lorsque vous êtes allongé ou semi-allongé dans votre lit, relève d’une certaine prouesse. Tout d’abord, il convient de repérer l’œuvre qui vous intéresse (en l’espèce Tropismes, situé en début de volume), puis les fameuses « notes et variantes » qui s’y rapportent – à vrai dire, le seul intérêt de La Pléiade reste, à mes yeux, son appareil critique, sans équivalent. A cette fin, la collection met à votre disposition deux signets (bien utiles, je l’avoue et, en l’espèce, de couleur jaune puisqu’il s’agit d’une œuvre du XXème siècle).

Ensuite, tourner une page dans La Pléiade s’avère une opération très délicate. En effet, sans l’aide de votre index humecté, il n’est pas aisé de tourner les pages. Et il faut y revenir plusieurs fois avant d’y arriver. Du coup, l’humidité de votre doigt abîme le côté gouttière de l’ouvrage dans ses coins haut et/ou bas – ou alors, je ne sais vraiment pas comment m’y prendre. Comme je l’ai indiqué, Tropismes figure au début de l’ouvrage : ce qui rend la chose encore plus épineuse : le livre manque constamment de vous tomber des mains.

Sans parler de ce qui fait la singularité emblématique de la collection : le fameux papier Bible et la police de caractère choisie (Garamond Corps 10). La finesse du papier me rend fébrile (je crains toujours de le déchirer) et la police utilisée encourage un fâcheux désagrément : une fatigue oculaire. Ma lecture devient alors laborieuse, presque douloureuse. Les mots de Nathalie Sarraute deviennent inaccessibles – voire menaçants.

Nathalie Sarraute, Œuvres complètes, La Pléiade, 1996

Néanmoins, il est une chose qui m’émeut dans La Pléiade, c’est l’élaboration de sa fabrication. Car on ne peut nier la beauté intrinsèque de cet objet-livre. Sur le site lapleiade.fr, on apprend des choses passionnantes sur les différentes étapes de la confection de cette collection. Oui, le génie humain m’enchante lorsqu’il déploie son potentiel dans ce domaine et de cette façon. Cependant, je ne cesse de m’interroger : comment cet objet peut-il être à la fois beau, raffiné et sobre et en même temps, pesant, illisible et incommode ?

Certes, je ne suis ni chercheur, ni spécialiste… simplement, une lectrice qui reste sans voix lorsqu’elle lit sur le site des Editions Gallimard que :

« La Bibliothèque de la Pléiade » réunit des éditions de référence des plus grandes œuvres du patrimoine littéraire et philosophique français et étranger, imprimées sur papier bible et reliées sous couverture pleine peau dorée à l’or fin.
Élégante et pratique, d’une lecture aisée, la collection s’enrichit de dix à douze volumes par an. Les textes sont établis à l’aide des manuscrits, des éditions ou des documents les plus sûrs ; les traductions proposées sont nouvelles ou révisées ; des inédits sont révélés aussi souvent qu’il est possible ; des préfaces, des notices et des notes dues aux meilleurs spécialistes attendent le curieux ou le chercheur. »

Lire me transporte.
Lire dans La Pléiade m’écrase.

Juin 2017
© andrea couturet

4 Replies to “La Pléiade”

  1. As-tu pu, malgré tout, aller jusqu’au bout de ton projet ? Ou le poids de plus de 2 000 pages en Garamond petits caractères sur du papier souple et soyeux t’a-t-il fait renoncer ?
    Personnellement, je n’aurais même pas osé à commencer l’aventure !!!

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