Acte 1 à lire ici
ACTE 2
Personnages. Léonie, Madeleine, L’agent de surveillance, L’Homme à la chemise de papier,
Le jeune homme à la cravate rouge, Un garçon à la bouche cousue, La fillette en combinaison orange, Dorothée et les très nombreux personnages de la collection de Deborah Neff.
La scène se passe à La Maison Rouge, boulevard de la Bastille, à Paris.
(Madeleine et Léonie sont à la recherche de leur vieille amie Dorothée. Elles arpentent séparément les salles de La Maison Rouge).
LÉONIE. – (elle singe Madeleine). « Et-cesse-de-broyer-du-noir-c’est-fatigant ». Quelle plaie cette bouffonne. Bon, on va demander à ce monsieur. (à part) Sacrebleu, c’est le portrait craché de Prof (« Heigh-ho, heigh-ho, On rentre du boulot »). Pardonnez-moi cher Monsieur. Je suis à la recherche de Dorothée. Peut-être la connaissez-vous ? (un temps). Allô ? (elle s’approche et bredouille en anglais) Douyouno Dorothy ? Elle porte une robe de soie blanche, un turban orné d’un bijou quelque peu grotesque mais d’une élégance folle et…
«Je sais ce que ressent l’oiseau en cage, hélas !
Lorsque le soleil luit sur les hautes terres ;
Lorsque le vent caresse l’herbe naissante,
Et que le ruisseau court tel un flot de cristal ;
Quand chante le premier oiseau, que s’ouvre le premier bouton,
Et que son calice exhale un parfum subtil –
Je sais ce que ressent l’oiseau en cage !
Je sais pourquoi l’oiseau en cage cogne des ailes
Aux cruels barreaux qui rougissent de son sang ; (…) » (1)
LÉONIE.- (elle l’interrompt). Je compatis, cher Monsieur. Sachez que Dorothée a subit le même sort que vous. Comme environ douze millions d’êtres humains. Et je ne parle ici que de la traite occidentale car il conviendrait d’ajouter à ce chiffre qui dépasse les frontières de l’entendement celui des traites orientale et intra-africaine (je vais me faire lyncher si je ne le précise pas). Mais comme les historiens ne sont pas d’accord sur les chiffres… (un temps) Bon, vous n’avez pas répondu à ma question. Peut-être aurais-je plus de chance avec ce jeune homme chapioté…
« Tante Suzanne a la tête pleine d’histoires.
Tante Suzanne a son cœur tout plein d’histoires.
Les soirs d’été sous la véranda de la façade
Tante Suzanne serre tendrement un enfant brun sur son sein
Et lui raconte des histoires.
Des esclaves noirs
Qui travaillent à la chaleur du soleil,
Des esclaves noirs
Qui marchent dans la rosée des nuits,
Des esclaves noirs
Qui chantent des chants douloureux sur les bords d’un immense fleuve. (…) » (2)
LÉONIE.- C’était vous « l’enfant au visage sombre », n’est-ce-pas ? Votre tante me rappelle une autre Suzanne… « à moitié folle » qui préparait un « thé au jasmin » si délicat.
L’AGENT DE SURVEILLANCE. – Madame, je vais vous demander de ne pas franchir la ligne blanche.
LÉONIE. – (elle l’envoie sur les roses) La ligne blanche ?! Mais de quoi vous mêlez-vous ? Allez faire dorer vos idées noires au soleil ! Je suis chez moi, ici ! (à part) Quel blanc-bec, ce bolos. (au jeune homme à la cravate rouge). Dites, peut-être pourriez-vous me rendre un service… (elle murmure à son oreille).
(Pendant ce temps-là, Madeleine poursuit son enquête).
MADELEINE. – Salut. Motus et bouche cousue ? Soit. Au-moins, ça a le mérite d’être clair. Euh… Vous avez un bouton bleu sur le nez, jeune homme…
… Voyons si ces deux-là pourront éclairer ma lanterne… Oh, des sœurs jumelles !
LA FILLETTE EN COMBINAISON ET LÉONIE (ensemble). –
« Sachez que toute jeune, un destin qui semble cruel
M’arracha à la terre, heureuse, dit-on, d’Afrique ;
Quelle douleur atroce et quels tourments affreux
Déchirent-ils encore l’âme de mon père ?
C’est un cœur de pierre, ignorant la pitié,
Qui ravit à un père son enfant bien-aimée.
Voilà quel est mon cas. Comment, alors, ne prierais-je pas
Pour que d’autres jamais ne souffrent des tyrans ? » (3)
MADELEINE. – Jeune fille, votre témoignage est poignant. Hélas, le monde, depuis sa naissance, fourmille de cœurs de pierre. (un temps puis à Léonie) Bravo. Tu as voulu me rouler dans la farine de manioc. Eh bien, c’est raté.
LÉONIE. – Tu devrais essayer l’outrenoir… ça Soulages. Mon teint n’est-il pas plus lumineux ?
MADELEINE. – Je vois surtout que tu as bien progressé dans notre enquête.
LÉONIE. – Tu l’as dit, bouffite. Figure-toi que Dorothée n’a pas pu faire le déplacement. Trop fragile pour faire le voyage, elle est restée dans le Connecticut. Cela dit, sa photographie est exposée, là-bas.
MADELEINE. – Je vois. C’est la Poupée manquante de l’exposition. Quelle allure ! Toujours tirée à quatre épingles, toujours aussi coquette. Qu’a-t-elle donc à nous dire ?
« L’oiseau libre sautille
Sur le dos du vent
Et flotte en aval
Jusqu’à ce que s’achève cet élan
Et plonge ses ailes
Dans les rayons orange du soleil
Et ose défier le ciel. (…)
L’oiseau en cage chante
avec un trémolo de peur
des choses inconnues
mais espérées encore
et sa mélodie se fait entendre
sur la colline lointaine
parce que l’oiseau en cage
chante la liberté. » (4)
MADELEINE. – Que d’émotions. Viens, on lui enverra un petit bleu. (rêveuse) Je serai ta cage et ta forêt écrivait Joséphine… (un temps) Il est où ton marchand de couleurs ?
LÉONIE. – Là-bas. Deux frères. Chemises roses et bottes de cuir.
(Trente minutes plus tard)
LÉONIE. – Ah ah ! Tu as une peur bleue du noir ?!
MADELEINE. – Le café, très peu pour moi. Je préfère le chocolat avec un nuage de lait.
LÉONIE. – Raciste !
MADELEINE. – Cesse de noircir le tableau. Je te signale qu’il reste une salle à visiter.
LÉONIE. – Eh, Andrea ! Où est passé ton esprit de synthèse ? Cette visite n’en finit pas, ton histoire est cousue de fil blanc et mes pieds font grise mine. Prends un nègre si tu es incapable de conclure cette série noire ! Tout ça, à cause de cette Joséphine ! (sa voix s’élève comme la poussière) JE VEUX ME METTRE AU VERT devant Le Grand blond avec une chaussure noire, c’est possible, ça ?!
(à suivre…)
Merci pour ce voyage drôle et poétique! Les extraits cités sont poignants.
Belle soirée à vous,
J'aimeAimé par 1 personne
Merci Marine !
😉
J'aimeJ'aime
J’adore! Elles sont en forme tes poupées 😉 Merci Andréa!
J'aimeAimé par 1 personne
Je confirme qu’elles sont en forme !
Merci Clémentine !
J'aimeAimé par 1 personne
Ca ne doit pas être facile à gérer une maisonnée avec de tels caractères!!😂
En tout cas cette scène est savoureuse!
J'aimeAimé par 1 personne
Ah ah ! Disons qu’elles m’amusent beaucoup !
Je prépare l’épisode 3 (suite et fin) qui sera sans doute plus court et… stop, je ne vous en dis pas davantage !
😉
J'aimeAimé par 1 personne
On patiente on patiente😉!
J'aimeAimé par 1 personne
Merci pour la suite de la saga de Madeleine et Léonie. Beaucoup de recherches pour cet épisode !
🙂
J'aimeAimé par 1 personne