En attendant Gasser

Madeleine et Léonie # 36

Gasser - Mad et Léo

PIÈCE EN UN ACTE
Madeleine, Léonie, Solair, Dodo


LÉONIE. – On se les gèle.
MADELEINE. – On se les pèle.
LÉONIE. – Je ne comprends pas. On est bien au printemps, non ?
MADELEINE. – (elle fredonne)

Voici le mois de mai où les fleurs volent au vent
Où les fleurs volent au vent si jolie mignonne…

LÉONIE. – (accablée) Arrête.
MADELEINE. – (elle poursuit, plus bas) Le fils du roi s’en va, s’en va les ramassant… ♫
LÉONIE. – C’est mièvre et tu chantes faux. Arrête.
MADELEINE. – Ah oui, c’est vrai que tu n’es pas passée par la case « enfance ».
LÉONIE. – La case « enfance » ? Tu mets l’enfance de l’art dans une case, toi ?
MADELEINE. – (même jeu) Il les porte à sa mie pour lui faire un présent… ♪
LÉONIE. – Allons-nous en – ma mie Mado.
MADELEINE. – On ne peut pas.
LÉONIE. – Pourquoi ?
MADELEINE. – On attend Gasser.
LÉONIE. – C’est vrai.
MADELEINE. – (un temps) Tu es sûre que c’est ici ?
LÉONIE. – Quoi ?
MADELEINE. – Qu’il faut attendre.
LÉONIE – Il a dit devant l’arbre.
MADELEINE. – Quel arbre ?
LÉONIE. – Je n’en vois qu’un.
MADELEINE. – C’est quoi ?
LÉONIE. – On dirait un chêne Pixa, sans baies sans feuilles… Un arbre fortuit, hasardeux, desséché… au printemps ! Rien à faire, on est foutu, on est mort.
MADELEINE. – Ah non ! Ne fais pas ta Fred Vargas ! C’est infernal ! Aïe !
LÉONIE. – Qu’est-ce qui t’arrive ?
MADELEINE. – Je crois que je me suis fait piquée par un moustique.
LÉONIE. – Un tigre ou un maringouin ?
MADELEINE. – Parce que tu crois qu’il m’a donné sa carte de visite ?!
LÉONIE. – Ne gratte surtout pas.
MADELEINE. – Facile à dire. (elle grimace et se gratte). Tu connais l’histoire de Victor-la-Victoire ?
LÉONIE. – Oui.
MADELEINE. – Raconte-la moi.
LÉONIE. – Assez.
MADELEINE. – C’est l’histoire d’un type né dans le 21ème arrondissement de Paris qui s’appelle Hugo Victor mais qui n’a rien à voir avec Victor Hugo et qui…
LÉONIE. – Assez !
(Silence)
MADELEINE. – (elle se gratte toujours) J’ai faim.
LÉONIE. – Capucines ou fleurs de la passion ?
MADELEINE. – Tu n’as pas autre chose ?
LÉONIE. – Il doit me rester quelques pieds de lambrusque.
MADELEINE. – Donne m’en un. Je…
LÉONIE. – Allons-nous en.
MADELEINE. – On ne peut pas.
LÉONIE. – Pourquoi ?
MADELEINE. – On attend Gasser.
LÉONIE. – C’est vrai. (un temps) ÉCOUTE !
MADELEINE. – Tu veux ma mort ou quoi ! J’ai failli m’étrangler !
LÉONIE. – CHUT !
(Un bruit de pas aérien suivi d’un pas plus gourd se fait entendre. Entrent un tournesol majestueux et un énergumène plumageux).
MADELEINE. – C’est lui ? Tournesol (gallica)
LÉONIE. – Qui ?
MADELEINE. – Voyons…
LÉONIE. – Gasser ?
MADELEINE. – Voilà.
SOLAIR. – Monsieur Solair, pour vous servir.
MADELEINE. – Il a dit Gasser.
LÉONIE. – Mais non.
MADELEINE (à Solair). – Vous n’êtes pas monsieur Gasser, monsieur ?
SOLAIR. – Je suis Solair ! Diantre, mais d’où sortez-vous ?!
MADELEINE. – C’est-à-dire que voyez-vous…
LÉONIE. – Nous attendons quelqu’un.
SOLAIR. – Ici, chez moi ?
MADELEINE. – C’est-à-dire qu’il nous a donné rendez-vous ici.
SOLAIR. – N’en parlons plus. (s‘adressant avec douceur au Dodo). Viens que je te présente à… à qui ai-je l’honneur ?
MADELEINE. – Madeleine.
LÉONIE. – Léonie. Dites-moi, c’est une espèce rare que vous avez-là.
MADELEINE.- Je pensais que les Dodos avaient disparu de toute la surface de la terre.
SOLAIR. – Toute ? Non ! Il en est un, et un seul – le mien – qui s’épanouit pleinement sur mes terres, le Saskatchewan. Sachez qu’il est un pur produit de Marylin Minski (parmi tant d’autres). Écoutez ce qu’il a à vous dire. Dodo, nous t’écoutons.
(Après un long silence, le Dodo se racle la gorge, fait un tour sur lui-même et étire ses pattes).
DODO. – (avec un phrasé ponctué de hoquets)

« Gare à la cacophonie du passage de témoin Le sommeil contient encore de nombreuses zones d’ombre Robin des ruines Prisonniers au rayon alimentation Des girafes dans le piège des tunnels Le mal-être est en bonne santé Le cheval de bataille court le monde Trois philosophes soulagés par la fin des temps modernes Si on tarde trop l’eau de la brume risque de disparaître Notre mission est d’ouvrir les fenêtres » (*).

MADELEINE (basà Léonie). – Notre mission est d’ouvrir les fenêtres ?
LÉONIE. – Tais-toi donc !
SOLAIR (irrité). – Il suffit !
LÉONIE. – Dites, il ne serait pas un peu schizophrène, votre Dodo ?
SOLAIR. – (ébaubi) Quoi ? Comment osez-vous ?! Attention aux mots que vous utilisez, chère madame. Celui que vous venez d’employer est particulièrement galvaudé. Je vous demande instamment de lui présenter vos excuses.
(Silence)
SOLAIR. – J’attends.
MADELEINE. – Eh bien, vas-y !
LÉONIE. – Je ne peux pas.
MADELEINE. – Pourquoi ?
LÉONIE. – On attend Gasser.
MADELEINE. – C’est vrai.
SOLAIR. – (hurlant) C’est pas bientôt fini cette comédie ?! Vos excuses, immédiatement !
LÉONIE. – (sournoisement confuse) Je vous prie d’accepter mes plus plates excuses, monsieur Dodo.
MADELEINE. – Ah ah ! Un rôle à contre-emploi !
DODO. – (poursuivant son soliloque)

« Un sans faute pour l’autopsie Une forêt d’espoir… » (*)

SOLAIR. – Merci. N’entendez-vous pas qu’il a un message important à vous communiquer ?
LÉONIE. – Quel message ? (un temps)
MADELEINE. – (comme frappée par une illumination) Il est revenu !
LÉONIE. – Qui ?
MADELEINE. – Gasser.
LÉONIE. – Qui ?
MADELEINE. – Hervé Gasser.
LÉONIE. – Connais pas.
MADELEINE. – QUOI ? Ne me dis pas que tu as oublié L’Homme-oiseau qui fait des collages ?!
LÉONIE. – Je ne sais pas. Peut-être. Et alors ?
MADELEINE. – C’est ce que cherche à nous dire monsieur Dodo ! Hervé Gasser est revenu !
SOLAIR. – Permettez. S’il-vous-plaît, mesdames ! Certes, il est revenu – était-il seulement parti – mais…
MADELEINE. – Mais ???
SOLAIR. – Il a cessé de faire des collages. Désormais, il écrit des chansons.
MADELEINE. – Des chansons ?! Quel genre de chansons ?
LÉONIE. – (goguenarde) Des chansons mièvres, sensuelles ou punk ?
SOLAIR. – (haussant les épaules) Pfff ! Je m’en vais, j’ai déjà perdu trop de temps. Dodo ! On y va !
MADELEINE. – On y va ?
LÉONIE. – Allons-y.
DODO. – (Il regarde s’éloigner Madeleine et Léonie et poursuit son monologue)

« Les petites vérités vacillent après la faillite du savoir Un détecteur de mensonge peine à trouver son identité Un bâton de dynamite tente de limiter l’explosion Ouvrir grands les bras mais à de strictes conditions… » (*)

Dodo - CALQUE


Ma participation à l’Agenda ironique de mai 2019 organisé conjointement par La Plume Fragile et Palette d’expressions. Quatre mots imposés : énergumène, schizophrène, maringouin, lambrusque.

Librement inspiré des personnages de Beckett, En attendant Godot, 1952, Éditions de Minuit.

(*) Extrait des collages inspirés et inspirants d’Hervé Gasser (« Coupé du monde ») dont je salue ici le retour.

Un clin d’œil à Carnets paresseux (ou plutôt à son cousin au plumage bleuté).

Illustrations. Pixabay, Gallica, Wikipédia

14 Replies to “En attendant Gasser”

  1. Chères Madeleine et Léonie, je ne vous connaissais pas cette patience de Pénélope. Ulysse lui-même serait-il revenu s’il s’était su si bien attendu ?
    Merci Andréa ! Vos saynettes sont toujours exquises…

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    1. Cher monsieur,
      Vous posez là une question très… comment dire… gasserienne…
      Je laisserais bien la parole à l’aut’e zigue mais elle fait preuve parfois de pusillanimité.
      C’est plutôt fâcheux.

      Aimé par 2 personnes

  2. quand on va faire dodo on se tait, sinon on est puni par le surveillant du dortoir. Dodo c’est dodo, pas citer.

    C’est la preuve que tout ceci n’est pas un témoignage vrai et authentique ! ce n’est qu’imagination !

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