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ACTE 3 (suite et fin)
Personnages. Le merle, Madeleine, Léonie et une poupée très particulière
provenant de la collection de Deborah Neff.
(Le lendemain de la visite. En cette fin d’après-midi ensoleillée, le jardin public est bercé par le souffle flexible du vent, le chant mélodieux d’un merle et le cliquetis des aiguilles à tricoter.)
LE MERLE. – ♫ Prochain départ pour le Winibus ! ♪
MADELEINE. – On n’est pas bien, là ? Les pomponnettes, la verdure, le soleil ! Et la tarte au citron de Carnets Paresseux, façon Pierre Hermé ! Tu n’as pas oublié son invitation ?
LÉONIE. – (elle reste concentrée sur son ouvrage, sans mot dire)
MADELEINE. – Bon, dis-moi ce qui te préoccupe. Depuis ce matin, tu es muette comme une tombe.
LÉONIE. – (après un long silence) J’ai fait un rêve.
MADELEINE. – Un rêve… façon Verlaine ou Martin Lu…
LÉONIE. – Ne m’interromps pas.
LE MERLE. – ♫ ♪ Prochain départ pour le Winibus ! ♫
LÉONIE. – (d’une voix atone) Qu’est-ce qu’il me fatigue, ce Turdus merula. (un temps) Nous étions, toi et moi, dans un vaste grenier nuageux où étaient exposées des poupées noires. Des poupées noires, tu m’entends ? Elles étaient là, debout, glorieuses, offertes et spectrales. Ne m’interromps pas. Elles étaient là, témoins d’une mémoire clandestine douloureuse. Je suis alors devenue noire, d’un noir charbonneux et vibrant. Soudain, j’étais des leurs et c’était joyeux. Puis, l’angoisse s’est installée sous la forme d’une question lancinante – restée sans réponse. Qui les avait inventées ? QUI ? C’était insoutenable de ne pas savoir QUI, tu comprends.
MADELEINE. – Tu connais ton créateur, toi ?
LÉONIE. – Ne m’interromps pas. Le rêve a pris alors une tournure cauchemardesque.
MADELEINE. – C’est-à-dire ?
LÉONIE. – Ne m’interromps pas. Nous étions devenues, toi et moi, une seule et même entité. LE cauchemar à l’état pur. (un blanc s’installe sur le visage de Madeleine).
LE MERLE. – ♫ ♪ Prochain départ pour le Winibus ! ♫
MADELEINE. – J’ai faim.
LÉONIE. – Moi aussi.
MADELEINE. – Viens, allons voir ce cher Carnets Paresseux. On passe prendre Joséphine et on saute dans le prochain Winibus. Ça roule ?
LÉONIE. – (d’une voix claire et conquérante) Connais pas de Josée Fine. (un temps) « Bleue comme un citron », sa tarte ? Je n’y toucherai pas. Il se prend pour qui, ce Dodo, infoutu de préparer une meringue. La prochaine fois, je lui demande de me préparer un merle farci aux cèpes.
FIN
Extrait du dossier de presse
Black Dolls, la collection Deborah Neff
Commissaire : Nora Philippe, Conseillère scientifique : Deborah Willis
« Nombre de ces poupées voit le jour alors que les États-Unis sont divisés entre le Nord, où l’esclavage est, techniquement, aboli, et le Sud qui repose encore sur celui-ci. En 1860, quatre-vingt-dix pour cents des quatre millions d’hommes, de femmes et d’enfants qualifiés de « Noirs » sont réduits en esclavage. Si la fin de la guerre de Sécession en 1865 apporte la liberté légale aux Africains Américains, les lois Jim Crow instaurent une ségrégation raciale redoutable dans le Sud. (…) Dans le Nord, règne une ségrégation de fait, pour trouver du travail, se loger ou suivre sa scolarité.
Au tournant du xxe siècle néanmoins, avec la migration vers le nord et l’urbanisation des communautés noires, la pluralité socio-économique s’accentue : la majorité de ces poupées, probablement fabriquée entre 1890 et 1910, reflète cette diversification culturelle et sociale. (…)
« Les topsy-turvies, noires ou blanches selon la partie du corps que l’on choisit de cacher sous le vêtement en les retournant, incarnent toute l’ambiguïté et la complexité des relations sociales aux États-Unis. Pourtant, ces poupées ont pu être conçues pour expliquer le métissage aux enfants nés d’unions mixtes ou des viols fréquemment subis. »
Je remercie chaleureusement Joséphine Lanesem qui a su piquer ma curiosité, laquelle a permis (non sans difficultés) à Madeleine et Léonie de s’exprimer sur un sujet à la fois inattendu et inédit. Exposition éclatante dans sa mise en scène, singulière dans son propos, je vous invite vivement à vous y rendre (vite, elle se tient jusqu’au 20 mai, à La Maison Rouge). Ces bouts de chiffon me manquent déjà ; aussi je vous propose de poursuivre le voyage à travers d’autres photographies ourlées de sanglots, de perles, de noirceur – de beauté surtout.
C’est un merle noir ou une poupée de merle noir ? ou, plus exactement, une poupée noire de merle noir ?
Sinon, je note la recette du merle farci aux cèpes ; pour mercredi, deux couverts, d’accord ? avec un petit vin sec ?
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Ah ah ! Là, pour le coup, c’était une très mauvaise blague de Léonie !
Laissons le merle chanter !
🙂
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trop tard, Léonie regrettera son chant ! (ou pas)
🙂
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Alors, je précise tout de suite que je ne cautionne pas cette recette !!!
😉
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Pourquoi deux couverts ? J’espère que vous viendrez partager ce repas, mon Cher Carnets.
Un vin rosé devrait convenir, non ? Je vous fais confiance car je n’y connais rien en vin.
😁☻
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Merci Léonie ; pour le vin, je demanderais au merle ce qu’il préfère.
(un merlot, sans doute)
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Mmm… ou un Château Cantemerle, non ?
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Et on prétend n’y rien connaitre en vin ?
démasquée, Léonie !
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Léonie. – Hé oh ! ça va ! C’est mon p’tit doigt qui me l’a dit !
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C ‘est un régal ! Je connaissais mal cette Léonie… Comme quoi, il ne suffit pas d’avoir de l’appétit. Cet article : étincelant. S’il n’y en avait qu’un, ce serait celui-là.
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Merci Tubs. Pourtant, l’épisode 3 a été bâclé !
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Dommage que l’histoire soit finie… Merci pour tous les détails que tu as donnés sur cette période tragique…
Repose ton cerveau un peu, avant de trouver d’autres aventures !
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❤
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Ah les filles, si vous allez chez carnets paresseux, on s’y retrouvera, et c’est tant mieux parce que votre compagnie est… dynamisante? hilarante?étrange?intéressante? Tout ça à la fois 😉
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❤
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J’ajoute que le passage sur les poupées noires est aussi poignant comme a du l’être l’expo. Si j’avais l’occasion de venir à Paris… mais pas de séjour prévu avant fin juillet…
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Merci Clémentine. C’est l’un des avantages de la capitale. La culture, de toutes les couleurs ! J’en profite encore un peu car je quitte bientôt la région parisienne pour un horizon plus… tranquille et provincial.
😉
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J’adore aller à Paris et j’imagine que c’est génial d’avoir la culture à portée de main. Mais la campagne, franchement, c’est le pied😉
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Je suis d’accord ! 😉
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Je ne sais pas si ce lien sera lisible, en tout cas, je l’espère !
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Merci Martine pour ce partage (je n’avais pas vu cette vidéo en particulier).
Oui, on sait que ces poupées ont été réalisées par des esclaves, des nourrices… C’est le caractère anonyme de ces femmes qui m’émeut. Qui étaient-elles ? Quel était leur quotidien ? On ne sait rien de tout cela.
Quant aux poupées qui pleurent, elle me donnent envie de pleurer ! Certaines apparaissent dans mon diaporama…
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Je les avaient vues, oui, ces poupées en larme !
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