Astéroïdes. Madeleine et Léonie #9

Mad et Léo (Astéroides)
© andrea couturet

[On entend deux mouches voler. Puis, au bout de onze secondes et six centièmes, soit une éternité].

– Alors il paraît que nous sommes « attachantes et énigmatiques »…
– Mmm…
Joséphine, quel prénom ravissant ! Fin, poétique, scintillant.
– Primo, permets-moi de te dire que ta série adjectivale est d’une pauvreté sans nom. Deuxio, tu fais preuve d’une naïveté confondante. Si ça se trouve, il s’agit d’un pseudo.
– Un. Je ne te permets pas de me parler de la sorte. Deux. Un pseudo, et alors ?
[Tout à coup, elles se mettent à chuchoter. Impossible de percevoir le moindre écho de leur conciliabule. Puis au bout de quelques secondes].
– Ah ! Mon intuition me dit que Joséphine sait « voir les moutons à travers des caisses ». C’est pourquoi je crois intimement qu’elle est originaire de l’astéroïde B 612.
– Ben voyons. Seul le côté obscur de la Force pourrait lui donner ce genre de pouvoir.
– ARRETE TOUT DE SUITE CES INVECTIVES GROTESQUES ! N’oublie pas que l’hôpital psychiatrique est à deux pas.
– Oh là là, si on ne peut plus plaisanter. [à part soi. Il n’empêche que toutes ces filles qui se croient spéciales me donnent la nausée.]
– Crois-moi, l’espace numérique est peuplé d’objets célestes multiples, multicolores, d’une richesse insoupçonnée. Ainsi, sur la planète « Saskatchewan », niche un Dodo paresseux qui pond dans ses carnets des fables et autres contes lunaires, avec un goût délicieux de pastèque.
–  Certes, mais l’astéroïde 327 abrite un buveur… pardon, un relieur qui, au bout de deux heures passées chez ses hôtes (pas une seconde de plus, pas une seconde de moins), se sauve comme un voleur en criant à tout bout de champ Vive la sociale ! – il a, paraît-il, un poêle à bois à allumer. Baroque, non ?
– Et tiens-toi bien, sur une planète Boucles d’Or non-identifiée, coasse une rainette au langage panaché tout à fait singulier. Elle cultive la langue de Shakespeare (sous-titrée en français, dieu merci) dans un jardin méditerranéen. Que ne puis-je lui faire parvenir un bouquet de cosmos ‘purity’ via la Station Spatiale Internationale !
– Et tu parlais d’hôpital psychiatrique ? En tout cas, sur l’astéroïde Clementina, auréolé d’un arc-en-ciel, deux fillettes exploitent des mines de crayon de couleur avec une ardeur résolument symphonique.
– Et n’oublions pas Soa qui vit dans une nébuleuse poétique parsemée de…
On en a déjà parlé.
– Et comment peux-tu négliger ce petit bonhomme en combinaison bleu-turquoise (quelle horreur – la couleur, pas lui) qui vit sur l’astéroïde A3-Improvisations, situé à environ trois années-lumière de la Terre ? Il diffuse avec clémence des podcasts étoilés, aquarellés d’une grande finesse.
On va peut-être s’arrêter là parce que le tube de pommade touche à sa fin.
– Eh bien, tous ces objets aux rayonnements cosmiques éblouissants auraient pu avoir raison d’Andrea mais sa solidité intérieure, renforcée au fil des ans, lui permet désormais de se protéger efficacement. Avec un soin tout particulier, elle les a déposés dans une petite boîte jaune. Dorénavant, chacun d’eux illumine ses jours. Ils sont devenus en somme ses nourritures extra-terrestres.
– Je.

COUPEZ.

[Un temps]
– QUI ose intervenir dans notre conversation ?
– Daniel.
– Daniel. Qui est Daniel ?
– [avec dédain] Tu ne peux pas comprendre.
– [à part soi. Mais, elle commence à me prendre le chou, cette vieille bourrique. Madeleine… quel prénom ridicule… Un jour, je lui ferais manger son funeste chapeau poussiéreux. Non, je la noierais au fond de ma tasse de thé ou de tilleul. Ou mieux encore, je l’engloutirais dans mon verre de Vichy-Célestins (il m’arrive de boire autre chose que du Vodka Martini). Anéantie sous le poids d’une tonne de zeste de bergamote ou asphyxiée par des bulles de savon saturées en dioxyde de carbone – j’hésite]. Au fait, tu as terminé l’écharpe de la grande prêtresse ?

Août 2017
© andrea couturet

13 Replies to “Astéroïdes. Madeleine et Léonie #9”

  1. Merci pour le grand sourire. Je persiste et signe : énigmatiques et attachantes. Quant au prénom ce n’est pas un pseudo, mais le nom… à demi disons. J’espère que toutes les femmes pensent être spéciales… Vous en tous cas l’êtes certainement 😉

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    1. Merci Joséphine.
      On dit que je suis « spéciale » mais je pense que tout le monde l’est plus ou moins. A chaque fois qu’il m’arrive de rencontrer quelqu’un, je me surprends à penser : « Tiens, voilà une personne qui n’est pas ordinaire ».
      Oui, comme vous, je pense que les femmes peuvent être dignes d’être « spéciales ».

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  2. Madeleine… Léonie… il y a ici une grenouille qui voudrait comprendre la référence à Boucle d’Or… pourriez-vous éclairer sa lanterne ?

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  3. Tardivement – mais vous pardonnerez cela à un animal disparu – le dodo passe par ici ; surpris de se voir nominé dans une liste aussi brillante, il ouvre un large bec, et hop ! voilà la lune qui, libérée, délivrée, roule sur le plancher aux vaches de la planète Saskatchewan ! Merci Andréa, Léonie et Madeleine.

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  4. Bonjour Andrea,
    J’aime bien leur jardin : Madeleine et Léonie observent, tricotent et détricotent avec beaucoup d’humour. Spéciales ? Nos singularités assumées sont plus que vivifiantes, osons osons…

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  5. Ben voilà, je croyais être abonnée, je ne l’étais pas. Ce sera plus facile maintenant.
    Elles sont rigolotes ces deux tricoteuses! Et puis alors quel joli dialogue, vif et drôle. Et puis encore, je suis fort touchée d’être un de leurs sujets de conversation, à Madeleine et Leonie.
    L’idée de la boite jaune à diffuseur automatique de soleil est super! Vous êtes un petit nombre aussi à dorer mes journées 😀

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